Il se chuchote que…, nous avons entendu dire, … .
Non, il ne s’agit pas d’une rubrique consacrée aux potins sur la vie de Monsieur Antoine Dubois ou de l’un de
ses collaborateurs, ou d’un de ses administrateurs, …
En fait, cet espace est dédié aux trouvailles tant sur le plan de documentaires d’époques, de pièces de
faïences, de porcelaines rares, de coupures de journaux, d’expositions (où l’entreprise aurait été invitée), ou
de noms de collaborateurs (peintres, décorateurs, modeleurs, …), …
Nous avons envie que ce site soit pour vous la participation à une expérience unique l’accroissement du
patrimoine culturel et artistique de la ville de Mons. Tout ceci dans un esprit de respect intellectuel, de
convivialité et de politesse.
Pour les amoureux de la céramique (que vous êtes, j’en suis persuadé et pour les curieux, il en faut, et ce
n’est pas forcément un vilain défaut), j’espère que ce site sera une référence (c’est notre volonté) où vous
pourrez comparer les trouvailles faites en brocante ou dans des salles d’enchères.
Nous voulons que ce site soit collaboratif qu’il soit construit par vous et pour vous, qu’il soit vivant.
Nous possédons déjà certains sujets que nous allons développer (dans les mois à venir) mais pour l’instant nous
voulons ouvrir ce site (avec l’impatience qui nous gagne de jour en jour) pour que vous puissiez nous
contacter.
Ce site n’est pas parfait mais sachez-le, derrière ces mots, derrière ces images, il y a déjà des centaines
d’heures de travail, de réflexion et de réunions.
Nous parlons avec notre cœur et notre passion et j’espère que ce sera pareil pour vous.
Ce sera aussi un espace de convivialité où seront intégrés des remerciements pour les renseignements
communiqués. Une sorte de livre d’or, « parce que vous le valez bien ».
De par les renseignements communiqués ou par nos recherches personnelles, des mises à jour seront faites dans
les autres rubriques. J’espère que vous y serez sensible et que nous pourrons, pourquoi pas, tous nous
rencontrer un jour.
Avec tous nos remerciements, l’équipe qui vous servira.
Muriel Deconinck et Eric Prévost.
Introduction
« Monsieur Dubois, je viens de terminer les préparatifs pour l’expédition des commandes vers la France. Les
caisses de bois ont été scellées. Les faïences sont bien bloquées dans la paille pour éviter tout déplacement
lors du trajet. Je prépare la charrette pour 11 h et je me charge de la conduire à la gare de Mons par le pont
derrière l’établissement. »
Un scénario plausible, mais il ne faudrait pas oublier pour cela le moyen de transport le plus proche de la
faïencerie : la voie fluviale. Un moyen de locomotion plus doux pour ces fines pièces fragiles.
Rappelez-vous, le canal du Centre franchissait les portes de la ville du Doudou et se prolongeait par le quai
des Anglais vers le canal de Condé, et l’Escaut...
Bien protégées, elles pouvaient donc rallier par les eaux, la France.
Il est vraisemblable qu’à un moment donné, elles partent soient en train ou plus risqué encore, par la route
pour rallier leur lieu de destination finale.
De mon imaginaire, je perçois tous les mouvements de véhicules attelés ou motorisés, de
personnes longeant les chemins de hallages, la rive droite du canal du Centre et l’avenue des Bassins où de
nombreuses entreprises s’y étaient installées. Une foule d’ouvriers allaient à leur besogne sans discontinuer
dans ce quartier où le bruit du tram de l’avenue des Canadiens et de la Chaussée de Ghlin s’additionnait à la
cacophonie des bruits d’entreprises. Une vie que nos grands-pères et grands-mères nous ont léguée
parmi des souvenirs tels que ces céramiques, produits de leurs efforts et parfois de leurs souffrances
quotidiennes.
Un décor quasi réel jaillit de cette de l’époque car étant du quartier, je peux m’imaginer l’ambiance qui
pouvait régner dans ces rues, impasse et terrain industriel.
Mais au-delà de ces conjectures de « bison futé », de ces descriptions d’un monde sorti d’une œuvre de Zola, un
vrai délire tourbillonne en moi.
Plusieurs révélations transpirent de ces deux pages de papier illustrant une commande de faïences que le temps
n’a pu altérer. Rien ne m’échappe : l’animation des préparatifs des commandes, le transport jusqu’à la gare,
rien même pas l’exploitation des renseignements qui en filigrane parcourt mon esprit.
En la lisant, outre la belle écriture du comptable, plusieurs mots, plusieurs lignes, plusieurs chiffres m’ont
titillé. Ces écritures m’ont transporté vers d’autres locaux de la manufacture, l’univers particulier du
responsable des commandes derrière son bureau que j’imagine avec des manchettes grises pour ne point salir ces
vêtements.
La curiosité, vis de tous les collectionneurs, est plus forte que la raison et elle m’ordonne de déchiffrer les
moindres indices qui pourront être exploités1
Cette pièce d’archéologie industrielle (mon unique trace de la gestion de la
manufacture actuellement) provient d’un document que M. Deconinck m’a dénichée, par chance, par miracle.
Les indices (voir image 3 et 4 ci-dessous).
Tel un Sherlock Holmes, je définis les éléments exploitables. Je vous les livre sans plus tarder.
1 L’année.
Celle de la facture, comme vous pouvez le lire, est datée de la fin de l’année 1934. En ce jeudi 29 novembre
1934, il faisait bien frais mais pas froid entre 7 à 8 °C, avec un brouillard persistant et présent depuis
quelques jours2 et comme souvent
chez nous pas de soleil annoncé. Les poêles au charbon des ateliers devaient être alimentés en permanence pour
maintenir une température convenable pour que les décorateurs puissent travailler en toute sérénité et avec
habilité.
2 le nom de la Société.
Il figure en haut de la page sous celui du destinataire. La manière de présenter la société est identiquement la
même que sur la carte de visite imprimée pour les délégués commerciaux (Voir photo du profil sur le groupe
Facebook « La Céramique Antoine Dubois »).
3 Le destinataire.
Monsieur Marque n’habitait pas la porte d’accoté (pour l’époque), sans être loin, il fallait acheminer cette
petite cargaison4
à bon port si je puis dire, sans casse, sans fêle, sans manque. Mais avant cela
comment
cette
commande a pu être enregistrée et libellée. Il y avait des représentants tel que Lucien Bauthier5, mais pour
l’internationale, il est vraisemblable que les négociations soient gérées par son fils
François-Jean-Baptiste-Edouard dit Franz. Mais ce ne sont que des suppositions, nulle ne le sais et ne pourra le
dire. Cela prouve aussi la dimension internationale de la société (exportation au Luxembourg, vers les
Pays-Bas3,vers la
France et
bien d’autres pays que nous évoquerons dans nos articles
suivants) malgré sa petitesse par
rapport aux sociétés boraines (Bequet, Thulin, Wasmuël, Nimy,etc.) et du Centre (Boch par exemple).
Comment cette petite société montoise, eu égard aux autres faïenceries, pouvait-elle avoir de tels débouchés à
l’étranger? Pourtant, à cette époque, la France ne manquait pas de fabriques de faïences et de porcelaines.
Lorsque l’on voit le soin apporté à la préparation du colis, on peut s’imaginer pourquoi une telle minutie y
était apportée.
En effet, en cas de bris ou d’erreur dans la commande, plusieurs jours devaient s’écouler
entre la découverte du litige et la restitution des pièces. Par lettre
,
il fallait être très explicite pour éviter d’autres
mésaventures7.
Un autre souci résidait dans la disponibilité des stocks pour les différents
modèles et
décors.
Actuellement, en cas de litige, un mail avec photo, un coup de téléphone et le problème est cerné. Un manque de
prévoyance pouvait donc engager sérieusement et durablement la crédibilité du nom de Mr Dubois à
tout jamais.
Si de surcroît vous possédez une société de transport efficace, en deux ou 3 jours le mal était réparé, vous
êtes
livrés.
Sans prendre une loupe de détective, on aperçoit en bout de chaque ligne de commande un « check » de sortie
(qui augurait du service qualité de notre époque). Il se manifeste par un pointage au crayon, juste après le
prix
à
l’exception d’un article: la jardinière modèle 141 de taille 3.
Cette facture était vraisemblablement la dernière étape avant la livraison. Elle devait être en possession
du
service expédition avant que les faïences ne quittent Mons pour un périple plein d’aventures.
Au-delà de ces recherches scripturales, je voulais aussi m’imprégner des lieux d’expédition et de
l’environnement de vente de ces faïences.
En fait, Mr Marque était le propriétaire d'une salle de vente de faïences et de verreries pour divers
métiers
(en outre la restauration). Sa société était fleurissante et persistait depuis plusieurs générations.
Il possédait 2 bâtiments à Poitiers, une maison de gros (voir référence sur l’image 5) qui résidait au 63,
rue
Cathédrale (voir Photo 1 ci-dessus) et une maison de détail qui trônait au début du XXème siècle au 8, rue
du
Marché (voir référence aux images 5 et 7). Les deux bâtiments étaient proches l’un de l’autre. Renseignement
pris
auprès de l’actuelle propriétaire, celui de la rue Cathédrale lui fût cédé en 1996.
Juste avant les années 40, il déménagea au 27, place du Marché (voir image 6) pour une meilleure vitrine
commerciale sans doute. Il est vraisemblable que cette place fût rebaptisée après la seconde guerre mondiale
pour être nommée actuellement : Place du Générale De Gaule8.
4 Le détail de la commande.
Au-delà de cette simple page documentaire, on peut extraire de précieux renseignements sur le contenu de la
cargaison en destination de Poitiers.
En fin 1934, on peut affirmer que plus de 790 modèles (donc de moules, multiplié par le nombre de tailles9)
étaient
produits. Imaginez-vous la taille des hangars de stockage de tous ces
moules. Ce que je voulais aussi souligner, c’est le nombre d’horloges (ou de garnitures de cheminée) qui
composaient cette
commande10.
Tout
cela en même pas 14 ans d’exploitation.
Au-delà des moules, ce qui me m’est en joie, c’est l’intitulé précis, exact d’un décor écrit par la société
elle-même : « le bleu filets argent »11.
Enfin ! Pour cette raison, nous avons modifié sur le site l’intitulé « bleu » en son libellé correct « bleu
filets d’argent ». Mais on peut aussi affirmer que le décor était antérieur à cette date.
5 Les modèles de cette commande.
L’expertise acquise en tant que négociant en céramique par Mr Marque, nous transmet par son biais ce qui était
prisé à cette époque en cette France profonde. Donc, examinons de plus près les articles choisis dans la palette
de fourniture potentielle de Mr Dubois. Comme tous ces modèles ne sont pas imprégnés dans l’esprit de tous (n’y
de moi, il est vrai), j’ai matérialisé par le truchement de mon album d’images chaque modèle de la commande 12
dans le tableau ci-dessous. Malheureusement, tous les modèles ne sont pas en ma possession (ou elles le sont
mais sans que je ne puisse les identifier clairement par manque de N° au « cul » de chaque faïence). Je fais
donc appel à vos collections pour achever cette liste. Merci pour votre collaboration.
6 Le décor « bleu filets argent ».
Je parle, je parle mais j’oublie de vous dévoiler ce fameux décor « bleu filets d’argent » (voir sur le site
www.ceramiqueantoineetrenedubois.be
sous la rubrique « Production » décor « bleu filets d’argent »).
La réalisation de ce décor demandait beaucoup de technicité pour sa réalisation comme le montre la photo 3.
Sur un tour, il ne fallait pas avoir la tremblote pour effectuer des cercles aussi réguliers. C’est un
travail admirable, demandant des années d’expérience.
Si ce travail demande une grande minutie, une très grande maîtrise, les « miss chiffons », les petites fées
du logis, en peu de temps, ont tôt fait de patiner (d’une manière irréversible), d’user cette décoration par
des produits nettoyages agressifs ou par des passages fréquents, cette infime pellicule déposée par les
décorateurs. Les maniaques du ménage se transforment en iconoclaste sans le savoir.
La photo 4 donne un aperçu du design d’une horloge avec ce décor « bleu filets argent ». La numérotation ne
m’est
pas connue. Il est à noter que les pendants servent aussi de vases (c’est d’autant plus vrai lorsque l’on voit
la photo 4) et grâce à la numérotation différente de l’horloge (nous en avons un exemple dans la commande avec
l’horloge 775 et ses
vases 776), ils peuvent être associés à une horloge (comme sur la photo 4) ou être produits à l’unité ou en
paire.
Les pendants portent toujours l’unité supérieure à celle de l’horloge.
J’attire aussi votre attention sur le fait que des variations minimes de hauteurs peuvent être perçues sur
le
même modèle. En effet, un moule ne peut servir qu’un nombre limités de fois. Et de ce fait d’autres moules
sont
fabriqués mais jamais avec le même degré de précisons. L’encolure quant à elle peut varier en hauteur de
quelques millimètres et n’a jamais tout à fait la même configuration que sa « sœur jumelle » fabriquée 10
ans
auparavant (Voir photo ci-dessus).
7 Le montant de la Facture.
La somme renseignée sur la facture ne paraît pas si exorbitante. Mais remontons le cours du temps, replaçons
nous dans le contexte économique de l’époque, quelques années après la grave crise économique qu’a engendré
« le Krach de 1929 ». Cinq ans après, je me demandais ce que représentait le montant de cette commande.
Faramineuse, normale, négligeable toutes les suppositions sont délicates si vous ne possédez pas une solide
documentation et une bonne base en économie. Pour gommer ma méconnaissance du sujet, j’ai utilisé un modèle
mathématique pour actualiser le montant de cette facture en fonction de l’indexation engendrée depuis 1934.
Tout d’abord, la facture était libellée en francs français, et comme dirait nos amis les Dupont et Dupond, je
dirais même plus en anciens francs. En 1960, la France est passée au nouveau franc (1franc nouveau équivalait à
100 anciens francs). Donc après consultation d’un site spécialisé sur l’impact de l’inflation, l’équivalent de
1173.05 FRA au 29 Novembre 1934 est de 674 308.36 FRA au 01 Décembre 2022 (cliquez sur
ce lien pour faire directement une conversion de
devises à une date passée).
De 1934 à 2022, l’Inflation sur cette période a atteint : 57.383,34 %. L'équivalent aujourd'hui en euros de 674
308.36 FRA ancien est de 1 027.98 EUR. Bien évidemment, il s’agit d’un prix de producteur à grossiste. Pour
obtenir le prix de revente à un particulier, il sera nécessaire de multiplier ce montant par un certain nombre
(2 ou 3).
Conclusion.
De tels documents enrichissent nos connaissances sur la société. Les modèles, les décors, les destinations de
ces faïences prouvent à quel point, elle était dynamique et que la famille maîtrisait aussi bien les techniques
de la céramique que les pratiques commerciales internationales.
Elle symbolisera donc, toujours, le combat d’une petite manufacture parmi les géants de l’époque (Qu'elles
soient
Boraines ou du Centre).
Elle s’identifiera toujours comme une société prospère, grande par sa combativité, grande par sa richesse de
production et par sa grande diversité de ces décors.
Un ensemble patrimonial pour lequel la ville de Mons devrait marquer un plus vif intérêt.